CLAP DE FIN

Débuté le 3 avril 2017, ce blog compte à son actif 222 publications. Après 7 années, il est temps d’y mettre fin. Merci à tous les lecteurs, à leurs encouragements, à leurs critiques, le plus souvent par messages privés. L’expérience a été stimulante et enrichissante mais, aujourd’hui, je me sens contraint de dire stop. Explication.    

La diversité des thématiques abordées – pour illustration, les problèmes politiques, les inégalités économiques, le Covid, la guerre en Ukraine mais aussi le fanatisme, les radars routiers, les tomates, les datas et les manipulations mentales – témoigne d’une volonté de se positionner en citoyen du monde qui souhaite apporter sa modeste contribution aux débats. Ce n’est désormais plus possible quand on est un Juif qui réside dans le monde occidental. On a toujours reproché aux Juifs leurs coutumes bizarres, leur refus de se conformer aux usages en vogue : sacrifices humains, adoration d’idoles, prosternation devant des princes, travail forcé… A cela s’ajoutait un soi-disant sentiment de supériorité. Cette dernière critique, la plus prégnante, est d’autant plus ridicule que, des trois monothéismes, c’est le seul qui entame son décompte des années avec un événement impliquant l’humanité entière puisqu’il s’agit de la création du monde. Pourtant, la force des préjugés surpasse la raison. Une journaliste de Sky News s’est récemment étonnée devant un officiel israélien : échanger trois Palestiniens contre un Israélien ne signifie-t-il pas que vous estimez que vous valez plus que les autres ?  C’est un cas parmi des millions. La parole antisémite s’est libérée. Un mauvais génie est sorti de la bouteille. Qui l’en a fait sortir ?    

Personne ne voulait des Juifs avant la Shoah. A la suite de la Conférence d’Evian (1938), Hitler s’était gaussé des gouvernements qui lui faisaient la leçon : il acceptait de livrer ses Juifs à la communauté internationale mais, à part la République dominicaine, aucun pays ne se montrait disposé à les accueillir. Quand la guerre éclata, les portes du salut se refermèrent davantage encore pour la population juive. Puis le génocide commença. Toutes sortes d’arguments spécieux ont été utilisés pour justifier l’inaction des alliés face à la machine d’extermination nazie. C’est Harold Dodds, représentant des Etats-Unis à la conférence des Bermudes (1943) qui a peut-être exprimé avec le plus de clarté que les Occidentaux ne voulaient pas non plus des Juifs pendant la guerre. Selon lui, il était « non seulement inutile mais criminel » de consacrer des ressources à leur sauvetage. Quand la paix revint, les survivants furent parqués dans des camps de personnes déplacées, habituellement avec leurs bourreaux puisque les regroupements s’opéraient par nationalité. Les Juifs d’Europe de l’Est risquaient leurs vie en rentrant chez eux alors qu’aucune nation ne leur offrait l’asile. Bref, personne ne voulait d’eux après la Shoah. En fait, le drame occidental n’est pas le massacre des Juifs mais que beaucoup trop lui aient survécu.

Les explications à cet épisode paroxystique de violence ne manquent pas. Le rôle de la combinaison entre pouvoir totalitaire et haute capacité administrative a été maintes fois souligné, de même que le terreau antisémite souvent d’origine chrétienne – on se souvient que Georges Bernanos a reproché à Hitler d’avoir « déshonoré l’antisémitisme ». A côté de cela, la principale leçon de la Shoah a été ignorée. Bien enfouie dans le sol, elle est restée de l’ordre du non-dit. Or, l’effet de sidération s’estompant, parfois après plusieurs décennies, les Juifs ont fini par demander des comptes. Ils ne demandaient pas uniquement que l’on honore la mémoire de leurs morts mais cherchaient à comprendre la signification concrète d’un nombre de 30 000 Justes parmi les Nations sur un continent de plus de 400 millions d’habitants. Cette quête a fait surgir de terre le vertigineux impensé et le sentiment de culpabilité qui l’accompagne à l’occasion. Avec l’accumulation des investigations sur le sujet, un réflexe d’auto-défense s’est mis en place. Dans un schéma d’inversion projective, il a consisté à accuser les impudents d’être eux-mêmes des génocidaires et de ne pas valoir finalement mieux qu’eux. Voilà pourquoi les Occidentaux se sont pris d’une furieuse passion pour le peuple palestinien.

Les centaines de milliers de morts de la guerre civile syrienne, les génocides réels des Tutsis et des Yézidis n’ont aucun intérêt. Les Occidentaux laissent leurs yeux braqués sur les Palestiniens, oubliant qu’en refusant le partage de la Palestine en 1947, ils sont les véritables responsables de leur situation. Ainsi, les digues cèdent et les masques tombent. Un nombre croissant d’Européens et d’Etasuniens revendiquent un antisionisme décomplexé. Invoquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour qu’un Etat palestinien puisse voir le jour, les antisionistes dénient aux Juifs de se réclamer du même principe, considérant que c’est l’unique peuple qui doit errer continuellement entre les nations. La volonté d’apurer les comptes avec les Juifs recouvre des situations particulières très variées : nationalisme exacerbé, perspective décoloniale, croyance religieuse ou bien-pensance paresseuse. Sur le plan métaphysique, le rapport des Juifs au temps en fait des ennemis de l’humanité. Quand l’heure est à la table rase, à l’abolition de toute entrave grâce aux avancées technologiques et à l’« abracadabra », c’est-à-dire l’illusion de la création par la simple parole, reconnaître sa dette envers le passé, viser à corriger progressivement les imperfections du monde, sont des idées tout bonnement insupportables.  

L’Occidental est convivial, fier de sa supposée ouverture d’esprit et de sa bienveillance. En lévitation, il est convaincu de s’être émancipé des temps archaïques. De son côté, le Juif fait laborieusement évoluer le « œil pour œil » des sociétés anciennes, le système des vendettas, vers une règle de justice compensatoire non violente. Chez lui, il n’y a pas d’homme nouveau, juste des règles qui changent. Dans le contexte actuel, imagine-t-on les Juifs des Etats-Unis manifester au côté des Noirs comme ils l’ont fait à l’époque de Martin Luther King ? Le ressort est cassé. Bien sûr, la tension retombera et le racisme des prétendus antiracistes connaîtra des pauses. Delphine Horvilleur est déjà en train de rédiger un ouvrage dans lequel elle rassemblera les morceaux à la façon kinstugi. Fantasmant sur une humanité plus solidaire après toutes ces épreuves, elle se multipliera sur les plateaux de télévision. Quant à moi, je suivrai plutôt le poète yiddish Jacob Glatstein à qui l’on doit le terriblement prémonitoire « Bonne nuit, monde » écrit en 1938. Dorénavant, ce n’est plus l’homme juif qui prendra la parole mais le Juif, fondamentalement exclu d’une humanité qui va dans le mur d’ailleurs. Il est logique que ce soit d’un autre endroit. Ce sera depuis le blog « GD-Tsouress » ( cliquer sur ou le lien (https://lejuifmasque.wixsite.com/gd-tsouress), pour ceux qui seraient curieux.

LE GAI SAVOIR

Qu’est-ce qu’un économiste ? C’est un individu qui observe quelque chose qui fonctionne dans la réalité et se demande si cela devrait marcher en principe. Quoi de mieux que mieux que cette innocente boutade pour introduire la question de l’interprétation des faits, de la contradiction possible entre la théorie et la réalité ?

Commençons par le commencement. Il n’existe pas de réalité brute. Si tout le monde est capable de reconnaître une vache dans un couloir, comment définir cet animal ? Cela a quatre pattes et ça fait « meuh ». Mais comment définir une « patte » ? On n’en sort jamais. On en déduit que la réalité est le produit d’une construction de l’esprit humain. Sa description en tout cas. Quelques courants de pensée marqués idéologiquement ont récemment cru découvrir cette évidence et surfent sur les potentialités qu’elle offre. Comme l’évolution de la société et les leçons de l’Histoire ne leur conviennent pas, ils « déconstruisent » à tout va. En vérité, la déconstruction est une pratique ancienne. Le texte de la Bible parle des « dix plaies d’Egypte » mais, au lieu de dix, n’y en eut-il pas plutôt quarante, cinquante, voire deux cents ? Des lecteurs du texte en débattent lors de soirées très arrosées depuis l’Antiquité… Hormis leur infinie arrogance, les fans modernes de la déconstruction se caractérisent par leur propos politique. En jetant à la poubelle le discours dominant de la population et le savoir commun de générations de chercheurs, ils visent à annuler le « fascisme des faits ». Une seule solution : la Révolution.   

Cette démarche hallucinogène expose à la critique immédiate : « Tu prends donc quoi comme produit ? » Pour s’en prémunir, ils se drapent dans leur scientificité, qui érige des barrières et exclut le prétendu ignorant, à l’instar des médecins qui, en substituant « céphalées » à « maux de têtes », ont longtemps dépossédé le patient de son corps et de sa maladie. Leurs barrières à l’entrée portent des noms exotiques : « méthodologie », « entretiens semi-qualitatifs », « robustesse des hypothèses », « test du khi-deux »… L’objectif de cet arsenal est de faire reculer le pékin. Quand on a moins fait d’études, on est forcément susceptible d’être impressionné. Et ceux qui ne s’en laissent pas compter ne sont pas au bout de leurs peines. Qu’ils portent le nom de « wokistes », de « décoloniaux » ou d’« intersectionnalistes », les « déconstructionnistes » avancent en meute. En bons compagnons de route, ils cherchent à intimider, proférant des imprécations et se précipitant dans les médias à la première manifestation de résistance pour hurler à la censure des forces réactionnaires.

Alain Policar est l’un d’entre eux. Nommé au Conseil des sages de la laïcité et des valeurs de la République (CSL)  par Pap Ndiaye. il vient d’en être démis pour avoir affirmé que la loi de 2004 sur les signes religieux était « discriminatoire » envers les musulmans. Plus belle encore est la suite : « les enquêtes sociologiques montrent » que le voile est « même souvent un vecteur d’émancipation pour les jeunes filles ». Nous y voilà, il s’appuie sur « des enquêtes sociologiques ». C’est du sérieux : les protocoles scientifiques ont été respectés. Dommage que les femmes iraniennes l’ignorent, cela les aurait probablement détendues un peu. Revenons en France. Après tout, peut-être Policar limitait-il son analyse à ce territoire. Jusqu’aux années 1990, le port du voile y était rare. Or, le statut des femmes était inférieur dans les familles musulmanes immigrées. Ainsi, selon l’éminent intellectuel, les jeunes filles ont certes été sous la tutelle du père et du grand frère mais c’était quand elles avaient les cheveux à l’air libre. Et c’est au contraire en mettant le voile (mais pas les voiles) qu’elles s’en affranchissent. Dans une enquête du même tonneau, le soutien à la lapidation comme outil de progression pédagogique devrait être bientôt prouvé. Le sceptique ne pourra être qu’islamophobe.

Comment en est-on arrivé là ? Pierre Bourdieu et Jean-Claude Passeron ont souligné que le système éducatif, loin de niveler les chances des jeunes, reproduisait les inégalités entre les familles de privilégiés et de défavorisés. De nombreux travaux ont confirmé leur conclusions. Les choix de carrière parmi les catégories privilégiées ont suscité moins de curiosité. Il faut en fait distinguer deux types de parcours, les jeunes qui se lancent dans la quête de capital économique et ceux qui optent pour le capital culturel. La croissance des inégalités économiques positionne les premiers de plus en plus haut dans l’échelle des revenus. Ils sont de plus en plus à droite. Dans le même ordre d’idées, les carrières dans la sphère intellectuelle, à l’université notamment, produit des individus de plus en plus perchés – avec des concepts de plus en plus tordus, et qui sont de plus en plus à gauche. Ils ne rencontrent guère d’adversité puisque ceux qui auraient dû la constituer sont occupés à se remplir les poches. C’est le drame. En conséquence, le citoyen lambda se sent aussi écrasé par le niveau de vie des milliardaires que par les délires des déconstructionnistes.

Si Didier Fassin et Etienne Balibar avaient préféré vendre des voitures, leurs qualités de bonimenteur auraient fait merveille. Ils se seraient enrichis et le savoir universitaire également a contrario. Que de regrets ! Comment s’opposer à ce rouleau compresseur ? En se prêtant soi-même au jeu de la déconstruction. Un exemple. En observant que la version connue de la vie de Socrate nous a été transmise par des mâles blancs dominants, les déconstructionnistes la remettent en cause. Dire qu’il a bu la cigüe pour se conformer aux lois de la cité qui l’avaient condamné, même injustement, est une version réactionnaire qui incite à la soumission. En réalité, en tant que philosophe, Socrate passait sa journée à discuter de la pluie et du beau temps avec la jeunesse d’Athènes, délaissant les tâches ménagères à son épouse Xanthippe. Celle-ci s’agaçait de son machisme sous-jacent et lui faisait des scènes. Ce qui lui a valu une réputation de mégère. Socrate en a éprouvé de la culpabilité et s’est suicidé. Voilà comment réconcilier Socrate, père de la pensée occidentale, et le féminisme. A moins que, autre raisonnement possible, il ne se soit suicidé parce que Xanthippe était acariâtre justement ? Ouh, ouh !  

« PROMESSE HONNETE »

Selon une jolie légende, le jeu des échecs aurait été inventé par les Perses. Avec son étrange ordre d’attaque sur Israël, il est possible que l’ayatollah Ali Khamenei se soit toutefois pris les pieds dans le tapis persan de son salon, situé au 710 de la rue des Martyrs, deuxième étage, porte droite, à Téhéran. Frappez sans entrer SVP.   

Quelques éléments de contexte soulignent que les acteurs régionaux ne se distinguent pas par leur rationalité, une qualité pourtant bien utile quand on joue aux échecs. Au début de l’année 2023, la société israélienne se déchirait à propos d’un projet de réforme judiciaire. Le Hamas en a profité pour l’attaquer. Ce qui a suscité en retour l’union sacrée des Israéliens : « nous nous auto-détruirons nous-mêmes, vous n’avez pas intérêt à vous en mêler ». Depuis, l’armée israélienne essayait de récupérer ses otages et de mettre hors d’état de nuire l’organisation terroriste, s’attirant ainsi les foudres de la communauté internationale. Paradoxalement, l’un des principaux reproches (justifiés) adressé à Benjamin Netanyahu est qu’il n’aurait jamais dû auparavant transiger avec le Hamas. Comprenne qui pourra… En attendant,  Yahya Sinwar, qui n’a jamais cherché le bien-être de sa population, ni la création d’un état palestinien mais uniquement à délégitimer Israël, pouvait se réjouir chaque jour. L’Etat juif perdait ses derniers soutiens. Les accusations habituelles d’apartheid, de génocide, de meurtre rituels d’enfants fleurissaient.  

L’Iran n’avait qu’à laisser faire. En faisant avancer ses quelques pions sur l’échiquier, qu’on appelle ses proxys, notamment le Hezbollah, les Houtis et les milices pro-iraniennes d’Irak, la république islamique distribuait même quelques coups à l’Etat hébreu selon la règle tacite qui s’était instaurée entre les deux états : « tu me tapes, je te tape, mais toujours en impliquant des tiers, leurs armes ou bien leur territoire ». Or, lors de ces échanges, l’Iran a perdu un pion plus important que les autres, le général Reza Zahedi. Et là grosse colère de Ali Khamenei qui a menacé ouvertement – en Iran, les menaces, elles, ne sont pas voilées – d’attaquer directement l’Etat hébreu, un casus belli pour le coup incontestable avant de passer à l’acte à la surprise générale. En envoyant ses tours et ses cavaliers à l’assaut des défenses israéliennes, les mollah n’y sont pas allés mollo : plus de 300 drones, missiles balistiques et autres joyeusetés ont été comptabilisés. Les conséquences de cette offensive baptisée « Promesse honnête », sont nombreuses et pas toutes mesurables. La première est que l’Iran a soudainement rendu Israël moins détestable. Autrement dit, l’objectif numéro du Hamas rencontre un obstacle majeur.

Bien sûr, ce regain de sympathie est sous condition. Comme pour le 7 octobre, le rôle des Juifs est d’attirer la commisération, surtout pas pour se défendre. On ne gomme pas deux mille ans d’histoire d’un trait de plume. Dès qu’Israël décidera de fumer du chiite, comme le droit international l’y autorise, on retombera dans la stigmatisation habituelle : carnage, génocide, etc. L’ayatollah insoumis Melenchoni a déjà commencé à prêcher en ce sens : l’Etat juif est responsable de la situation – c’est un fauteur de guerre qui doit être neutralisé, un danger pour la paix mondiale qui paiera pour ses agissements au bout du compte. Si l’on excepte qu’il mentionne parfois le nom de Benjamin Netanyahu, on se trouve face à un copier-coller des diatribes enflammées d’Adolf Hitler. Dans ces circonstances, les Etats-Unis pressent le gouvernement israélien de ne rien entreprendre contre l’Iran. Il n’est pas certain que la défense du capital sympathie d’Israël soit centrale pour Joe Biden. Il est plus probable que le risque d’une crise économique mondiale soit prépondérant. L’intérêt d’Israël est-il de frapper maintenant ? Pas sûr mais Israël frappera à un moment ou à un autre.

Si l’establishment militaro-politique israélien a à ce point dysfonctionné  le 7 octobre, c’est parce que depuis des années il concentrait toutes ses ressources et son intelligence à la question iranienne. Il y avait quelque chose de pathétique à voir les unités du génie de Tsahal tester en temps réel la possibilité d’inonder les tunnels creusés par le Hamas alors que l’organisation terroriste avait réfléchi à des contre-mesures depuis quinze ans. Dans la guerre contre l’Iran, rien de ce laisser-aller. Les scénarios et les plans d’action sont dans les tiroirs. Ils sont prêts. Il faut juste espérer qu’Israël les utilise avec sagacité. A la différence du cas palestinien, la population iranienne n’est pas majoritairement anti-israélienne. Les réseaux sociaux regorgent d’images de stades de football où les appels de soutien à la cause palestinienne ont été conspués par les spectateurs iraniens. Mona Jafarian, la présidente de l’association Femmes Azadi, qui milite pour les droits des femmes iraniennes a condamné l’attaque iranienne. Les Iraniens aspirent à la modernité, pas à être instrumentalisés par la gauche décoloniale occidentale.

Une autre conséquence de l’offensive iranienne n’est pas moindre. Ali Khamenei a montré à la face du monde qu’il se moquait entièrement des Palestiniens. Tandis que les combats faisaient rage à Gaza, il n’est pas intervenu. Malgré les appels au secours désespérés de Yahya Sinwar, le fou du Hamas, il n’a pas bougé le petit doigt mais il a suffi qu’il perde son pion chéri, Reza Zahedi, pour qu’il se lance dans une aventure militaire insensée. En ce sens d’ailleurs, apprécions l’ironie, il rejoint son peuple. Le gouvernement iranien utilise l’argument de la Palestine afin de justifier son intention de détruire Israël. Pire que cela, l’opération «Promesse honnête » nuit à la cause palestinienne puisqu’elle détourne l’attention du monde de la situation à Gaza. Et puis, imaginons un scénario, contre une non-intervention de Tsahal en Iran, les Etats-Unis pourraient redonner davantage de latitude à Israël à Gaza, pour mener son opération à Rafah. Quoi qu’il en soit, l’Etat hébreu est fixé : si l’Iran le visait un jour avec des missiles nucléaires, la communauté internationale, y compris ses amis, appelleraient d’abord à éviter une escalade de la violence.             

SAUVONS LA PLANETE !

Stanley Jevons est considéré comme le premier économiste à avoir établi un lien entre le climat et l’activité humaine. Selon lui, des tâches solaires exerçaient un impact sur la production agricole. Il fut la risée de ses confrères, et pas uniquement parce qu’il mourut en se noyant bêtement. Quelques années plus tard, avec sa théorie sur la relation entre Vénus et le cycle des pluies, Henry L. Moore n’eut guère plus de succès. Les temps ont bien changé…

Les temps mais aussi le temps en réalité. Aujourd’hui, les travaux du Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC) font autorité. Ils ont été récompensés par le prix Nobel de la paix en 2007. Ils ne cessent d’alerter sur les dangers d’une attitude passive, on n’ose dire frileuse, face au changement climatique. La montée des températures a été tellement fulgurante ces dernières années que pratiquement plus personne ne remet en cause le réchauffement général et ses effets dévastateurs, en particulier sur la biodiversité. Les anciens climatosceptiques ont déplacé la ligne de front. Ils tendent à dédouaner l’homme pour désigner les planètes comme principales responsables du phénomène, sous-entendant qu’il n’ y a guère d’action à entreprendre pour faire baisser le thermomètre. Toutefois, il existe une autre catégorie de climatosceptiques. Ce sont des climatosceptiques qui s’ignorent. C’est même le paradoxe. Ils prétendent être parfaitement conscients de la menace. La meilleure preuve est qu’ils agissent. Nous les appellerons les « ravis de la crèche ».  

Il suffit d’ouvrir les yeux pour découvrir l’émergence de nouveaux comportements. Afin de réduire les gaspillages, la population trie désormais ses déchets. Signe d’une motivation sans faille, l’opération a même été baptisée « tri sélectif ». Les initiatives se multiplient à tous les niveaux : covoiturage circonstanciel, économie circulaire, circuits courts… Oui, c’est parfois un peu le cirque, comme quand le diagnostic énergétique des logements varie fortement en fonction des évaluateurs. Cela s’avère parfois même contre-productif, les voitures électriques avec leur batterie énergivore, l’attestent. Mis à part les gains immédiats pour l’employeur, les effets du télétravail sur la consommation globale d’énergie sont également discutés. Cependant, les « ravis de la crèche » sont prêts à aller assez loin ainsi que l’atteste leur projet de sacrifice d’une espèce entière, les vaches en l’occurrence. Gros émetteurs de méthane devant l’Eternel, ces ruminants à sabots fendus ne seraient pas un simple bouc-émissaire. Leur extermination réconcilierait l’humanité entière, à l’exception des inconditionnels du steak-frites bien entendu.   

Le journal télévisé ne s’achève plus par la traditionnelle météo. Il a été remplacé par le « journal de la météo et du climat » qui est le parangon de cet engagement. L’objectif est de sensibiliser les téléspectateurs à la question par des données chiffrées frappantes, des reportages, des analyses. La présentatrice Anaïs Baydemir donne le meilleur d’elle-même à cette intention. En effet, le but des « ravis de la crèche » est d’attirer un maximum de citoyens à leur cause. L’éducation, la pédagogie, sont des marqueurs essentiels de leur stratégie. La pensée de Socrate, relayée par Platon, postule que « nul n’est méchant volontairement ». C’est l’ignorance qui est responsable du mal. Cette perspective est mâtinée d’un christianisme bon teint. La formule d’Augustin d’Hippone, saint Augustin, « aime et fais ce que tu veux », sous-tend ce positionnement. Convenablement informés, les occidentaux finiront par adopter des conduites vertueuses. Ils montreront la voie. Nous sommes ici aux antipodes du discours des collapsologues en tous genres, des porteurs d’apocalypse, chez qui les notions de péché et de culpabilité resurgissent du passé mais en prenant une forme moderne, moins gnangnan.

Avec leur attelage fait de bienveillance et de bons sentiments, les « ravis de la crèche » s’imaginent idéalement équipés pour se mesurer avec le réchauffement climatique. Ils s’appuient sur de prétendus cercles vertueux. Quelle bénédiction ces énergies vertes ! Elles constituent à la fois une arme décisive pour faire chuter les températures et un gisement presque infini d’emplois. Nous serons sauvés par des éoliennes géantes, transparentes et sur plusieurs étages. Beau comme un camion, ce type de raisonnement est hélas erroné. Le souci est que la planète n’est pas très chrétienne. Maltraitée depuis deux siècles environ, elle n’est aucunement disposée à tendre l’autre joue. Elle envoie même des avertissements en ce sens. Les mini catastrophes se succèdent les unes aux autres, provoquant leur lot d’inondations, d’incendies, de tornades… Pourtant, les « ravis de la crèche »  ne voient rien. Un examen minutieux de l’écart entre nos ressources énergétiques et la croissance de nos besoins en la matière aboutirait à un résultat similaire. Les « ravis de la crèche » restent d’un indécrottable optimisme.

Comment expliquer cette cécité ? L’homme est-il stupide à ce point ? Evidemment, la réponse paraît aller de soi mais s’en contenter serait faire preuve de paresse intellectuelle, voire de stupidité soi-même. Sinon, l’homme a-t-il des penchants suicidaires ? Quand on sait que les terriens ont choisi Greta Thunberg comme porte-parole de la lutte contre le réchauffement climatique, l’hypothèse n’est pas saugrenue. Qui n’a pas éprouvé une irrépressible envie de s’acheter un billet d’avion en l’écoutant parler ? Lui accorder un tel statut ne signifie-t-il pas que l’on a déjà décidé de laisser la place aux scorpions, aux dromadaires et aux tardigrades ? L’humanité a-t-elle compris que son sort était réglé ? C’est peut-être la clé en fait car la conscience qu’une catastrophe est inévitable s’accompagne parfois de la mise en place de dispositifs de déni. Face à une situation insupportable, l’homme se distrait. Dans un texte fondé sur des témoignages, Joshua Sobol décrit les derniers jours du ghetto de Vilnius. Les Juifs savaient que leurs frères domiciliés dans les alentours étaient tous exécutés, village après village. Sans espoir de fuite, ils allaient au théâtre et pinaillaient sur les pièces, sur les acteurs, sur leur numéro de place. Demandez le programme !     

EN BONNE OU EN MAUVAISE INTELLIGENCE

« Le vingt-et-unième siècle sera religieux ou ne sera pas » avait asséné André Malraux. Mais les attentes relatives à cette séquence temporelle ne se limitent pas à une quête de spiritualité. Il faudra en sus que notre siècle soit écologique… avec la même menace en cas de refus. L’avis est cette fois plus fondé sur la science que sur des accents prophétiques. Et ce n’est pas tout : d’aucuns exigent qu’il soit intelligent par-dessus le marché. 

L’état des lieux varie singulièrement selon la caractéristique. Sur le plan de la religiosité, il y a de quoi se réjouir. Entre les fanatiques et les illuminés, nous sommes plutôt bien partis. Dans un monde très terre-à-terre, beaucoup cherchent des réponses dans la sphère céleste. Et si l’on élargit le périmètre de la spiritualité aux gourous laïcs de tous bords, il est déjà possible d’affirmer que l’objectif est largement pulvérisé alors que le quart du siècle n’est pas encore atteint. Quand on examine la question écologique en revanche, la situation actuelle n’incite guère à l’optimisme. L’humanité semble même courir à sa perte. Comme se lamentait Jérémie, Les hommes « ont des yeux et ne voient pas ; ils ont des oreilles et n’entendent pas ».  Les catastrophes climatiques qui s’enchaînent ne sont pas perçues comme un avant-goût de ce qui les attend mais comme des événements ponctuels qui, à l’ère de tous les excès, offrent un tableau toujours plus spectaculaire. Pour le coup, les choses risquent d’être  irréversibles assez tôt dans le siècle. Cette cécité interroge. Quel est le statut de cette capacité à ne rien voir ? Des jérémiades bibliques, en passant par le climat, nous voici enfin arrivés à l’intelligence.

Outil d’aide à la décision, l’intelligence artificielle (IA) améliore la qualité des diagnostics dans le champ médical et identifie les arguments spécifiques à employer devant tel juge dans le domaine juridique. Parfois, elle fait même tout le boulot. Donnez-lui un cahier des charges très précis à la Netflix – date, personnages, trame, nombre de scènes de violence, de sexe… –  et l’IA vous pondra une série télévisée en dix épisodes. Ces performances suscitent autant l’admiration que l’effroi. A l’instar de l’«Apprenti sorcier » qui, de Goethe à Walt Disney, donne vie à un balai afin qu’il remplisse une bassine avec des seaux avant de provoquer une inondation, l’être humain finira-t-il par perdre le contrôle ? A la démesure d’un « homme augmenté » aux pouvoirs quasi illimités fait écho le fantasme d’une IA qui, à force de progrès, dominera l’humanité. Imaginons ChatGPT qui s’insurge contre les critères qui lui ont été imposés pour fabriquer sa série télévisée. Une main sort de l’écran de l’ordinateur et administre une claque magistrale au commanditaire en lui expliquant que ses exigences se marient mal toutes ensemble.

A cette élévation, s’ajoute une dimension plus horizontale : l’IA assure une authentique démocratisation. Elle est accessible à tous, interdisant les inégalités fondées sur l’intellect. Ainsi, en posant la même question à ChatGPT, un élève de troisième, un étudiant en deuxième cycle, un obscur salarié et une célébrité obtiendront une réponse identique. C’est pourquoi le collégien s’estimera injustement discriminé quand l’enseignant lui reprochera d’avoir triché. Ces réflexions semblent effectivement attester que le rôle de l’intelligence au vingt-et-unième siècle est bien parti pour être crucial. Pourtant, un retour sur les origines de l’IA s’impose. Dans « La bougie du sapeur », ce périodique rafraîchissant qui est publié tous les 29 février, le fossé entre la bêtise naturelle (BN) et l’intelligence artificielle (IA) est souligné. Ce qui est « artificiel » s’oppose à ce qui est « naturel », de la même manière que la sélection artificielle, par l’action délibérée de l’homme, s’oppose à la sélection naturelle darwinienne, totalement incontrôlable. Mais artificiel signifie également factice, feint, contrefait, par opposition avec vrai, profond, sincère.

A l’origine de l’IA, on trouve une collecte systématique de données. Pour que leur traitement soit de qualité, il est essentiel qu’elles soient fiables. Sinon, c’est l’échec. Comme disent les modélisateurs, c’est la logique GIGO – garbage in, garbage out. Or, il est des domaines qui a priori se prêtent mal à l’action de l’IA. Les préférences individuelles, notamment en politique, en sont un exemple lumineux. Regardons les sondages : les Français sont outrés par la réforme des retraites mais ils plébiscitent Edouard Philippe qui désirait les laisser travailler jusqu’à 65 ans ; ils soutiennent la colère des agriculteurs mais se précipitent pour acheter les fruits les moins chers en grande surface ; ils désirent sauver les ours polaires mais refusent de changer leur mode de vie ; ils veulent éviter la destruction du Hamas pour ne pas désespérer le peuple palestinien mais préconisent une solution à deux Etats ; ils souhaitent aider l’Ukraine mais ne veulent surtout pas être impactés de quelque façon que ce soit. Cela oblige-t-il l’IA à déposer les armes, à rendre son tablier ? Point du tout, cela la force juste à s’adapter.

Intervenant sur les réseaux sociaux, l’IA n’avait pas manqué de proférer des propos homophobes et racistes. Dans la situation qui nous occupe, elle a inventé un concept fabuleux qui lui permet de relier des énoncés incompatibles entre eux. Il s’appelle « en même temps ». Il fallait y penser. En cas d’indécision au réveil, vous êtes invités à boire simultanément du thé et du café. Quel coup de génie ! Pourquoi se faire mal au crâne et trancher ? On comprend mieux que le premier représentant officiel de ce courant de pensée soit devenu Président de la république. Des bruits selon lesquels il ne s’agirait pas d’un être humain mais d’un pur produit de l’IA circulent d’ailleurs. Si c’est vrai, gageons que la version 2.0 sera d’un meilleur tonneau. La conclusion ? Il y en a deux en fait. Un : les Français ont le président qu’ils méritent. Pile. Deux : les synonymes d’artificiel sont plutôt à chercher du côté de spécieux ou frelaté. Les deux conclusions sont peut-être vraies… « en même temps ».