Débuté le 3 avril 2017, ce blog compte à son actif 222 publications. Après 7 années, il est temps d’y mettre fin. Merci à tous les lecteurs, à leurs encouragements, à leurs critiques, le plus souvent par messages privés. L’expérience a été stimulante et enrichissante mais, aujourd’hui, je me sens contraint de dire stop. Explication.
La diversité des thématiques abordées – pour illustration, les problèmes politiques, les inégalités économiques, le Covid, la guerre en Ukraine mais aussi le fanatisme, les radars routiers, les tomates, les datas et les manipulations mentales – témoigne d’une volonté de se positionner en citoyen du monde qui souhaite apporter sa modeste contribution aux débats. Ce n’est désormais plus possible quand on est un Juif qui réside dans le monde occidental. On a toujours reproché aux Juifs leurs coutumes bizarres, leur refus de se conformer aux usages en vogue : sacrifices humains, adoration d’idoles, prosternation devant des princes, travail forcé… A cela s’ajoutait un soi-disant sentiment de supériorité. Cette dernière critique, la plus prégnante, est d’autant plus ridicule que, des trois monothéismes, c’est le seul qui entame son décompte des années avec un événement impliquant l’humanité entière puisqu’il s’agit de la création du monde. Pourtant, la force des préjugés surpasse la raison. Une journaliste de Sky News s’est récemment étonnée devant un officiel israélien : échanger trois Palestiniens contre un Israélien ne signifie-t-il pas que vous estimez que vous valez plus que les autres ? C’est un cas parmi des millions. La parole antisémite s’est libérée. Un mauvais génie est sorti de la bouteille. Qui l’en a fait sortir ?
Personne ne voulait des Juifs avant la Shoah. A la suite de la Conférence d’Evian (1938), Hitler s’était gaussé des gouvernements qui lui faisaient la leçon : il acceptait de livrer ses Juifs à la communauté internationale mais, à part la République dominicaine, aucun pays ne se montrait disposé à les accueillir. Quand la guerre éclata, les portes du salut se refermèrent davantage encore pour la population juive. Puis le génocide commença. Toutes sortes d’arguments spécieux ont été utilisés pour justifier l’inaction des alliés face à la machine d’extermination nazie. C’est Harold Dodds, représentant des Etats-Unis à la conférence des Bermudes (1943) qui a peut-être exprimé avec le plus de clarté que les Occidentaux ne voulaient pas non plus des Juifs pendant la guerre. Selon lui, il était « non seulement inutile mais criminel » de consacrer des ressources à leur sauvetage. Quand la paix revint, les survivants furent parqués dans des camps de personnes déplacées, habituellement avec leurs bourreaux puisque les regroupements s’opéraient par nationalité. Les Juifs d’Europe de l’Est risquaient leurs vie en rentrant chez eux alors qu’aucune nation ne leur offrait l’asile. Bref, personne ne voulait d’eux après la Shoah. En fait, le drame occidental n’est pas le massacre des Juifs mais que beaucoup trop lui aient survécu.
Les explications à cet épisode paroxystique de violence ne manquent pas. Le rôle de la combinaison entre pouvoir totalitaire et haute capacité administrative a été maintes fois souligné, de même que le terreau antisémite souvent d’origine chrétienne – on se souvient que Georges Bernanos a reproché à Hitler d’avoir « déshonoré l’antisémitisme ». A côté de cela, la principale leçon de la Shoah a été ignorée. Bien enfouie dans le sol, elle est restée de l’ordre du non-dit. Or, l’effet de sidération s’estompant, parfois après plusieurs décennies, les Juifs ont fini par demander des comptes. Ils ne demandaient pas uniquement que l’on honore la mémoire de leurs morts mais cherchaient à comprendre la signification concrète d’un nombre de 30 000 Justes parmi les Nations sur un continent de plus de 400 millions d’habitants. Cette quête a fait surgir de terre le vertigineux impensé et le sentiment de culpabilité qui l’accompagne à l’occasion. Avec l’accumulation des investigations sur le sujet, un réflexe d’auto-défense s’est mis en place. Dans un schéma d’inversion projective, il a consisté à accuser les impudents d’être eux-mêmes des génocidaires et de ne pas valoir finalement mieux qu’eux. Voilà pourquoi les Occidentaux se sont pris d’une furieuse passion pour le peuple palestinien.
Les centaines de milliers de morts de la guerre civile syrienne, les génocides réels des Tutsis et des Yézidis n’ont aucun intérêt. Les Occidentaux laissent leurs yeux braqués sur les Palestiniens, oubliant qu’en refusant le partage de la Palestine en 1947, ils sont les véritables responsables de leur situation. Ainsi, les digues cèdent et les masques tombent. Un nombre croissant d’Européens et d’Etasuniens revendiquent un antisionisme décomplexé. Invoquant le droit des peuples à disposer d’eux-mêmes pour qu’un Etat palestinien puisse voir le jour, les antisionistes dénient aux Juifs de se réclamer du même principe, considérant que c’est l’unique peuple qui doit errer continuellement entre les nations. La volonté d’apurer les comptes avec les Juifs recouvre des situations particulières très variées : nationalisme exacerbé, perspective décoloniale, croyance religieuse ou bien-pensance paresseuse. Sur le plan métaphysique, le rapport des Juifs au temps en fait des ennemis de l’humanité. Quand l’heure est à la table rase, à l’abolition de toute entrave grâce aux avancées technologiques et à l’« abracadabra », c’est-à-dire l’illusion de la création par la simple parole, reconnaître sa dette envers le passé, viser à corriger progressivement les imperfections du monde, sont des idées tout bonnement insupportables.
L’Occidental est convivial, fier de sa supposée ouverture d’esprit et de sa bienveillance. En lévitation, il est convaincu de s’être émancipé des temps archaïques. De son côté, le Juif fait laborieusement évoluer le « œil pour œil » des sociétés anciennes, le système des vendettas, vers une règle de justice compensatoire non violente. Chez lui, il n’y a pas d’homme nouveau, juste des règles qui changent. Dans le contexte actuel, imagine-t-on les Juifs des Etats-Unis manifester au côté des Noirs comme ils l’ont fait à l’époque de Martin Luther King ? Le ressort est cassé. Bien sûr, la tension retombera et le racisme des prétendus antiracistes connaîtra des pauses. Delphine Horvilleur est déjà en train de rédiger un ouvrage dans lequel elle rassemblera les morceaux à la façon kinstugi. Fantasmant sur une humanité plus solidaire après toutes ces épreuves, elle se multipliera sur les plateaux de télévision. Quant à moi, je suivrai plutôt le poète yiddish Jacob Glatstein à qui l’on doit le terriblement prémonitoire « Bonne nuit, monde » écrit en 1938. Dorénavant, ce n’est plus l’homme juif qui prendra la parole mais le Juif, fondamentalement exclu d’une humanité qui va dans le mur d’ailleurs. Il est logique que ce soit d’un autre endroit. Ce sera depuis le blog « GD-Tsouress » ( cliquer sur ou le lien (https://lejuifmasque.wixsite.com/gd-tsouress), pour ceux qui seraient curieux.