UN LIBERAL, ÇA NE TRUMP PAS ENORMEMENT !

A force de caricaturer les personnes ou les idées que l’on aime détester, on en arrive à dire de grosses bêtises. Le cas du Président Trump est édifiant. L’homme est foncièrement antipathique, c’est entendu. Le libéralisme économique a plutôt mauvaise presse en France. En conclusion, le Président Trump mènerait une politique libérale aberrante… sauf que c’est complètement faux.

éléphant 2Les fondements de la pensée libérale sont bien connus. Les marchés s’autorégulent. De ce fait, toute intervention de la puissance publique, même dégoulinant de bonnes intentions, est à proscrire. Non seulement elle ne parvient pas à atteindre ses objectifs mais elle vient perturber le fonctionnement de cette belle mécanique que constituent les marchés. Comme le plus souvent l’Etat est déjà présent dans l’économie, une politique libérale consiste en réalité à lui faire opérer un retrait stratégique. On emploiera souvent le préfixe « dé » comme dans déréglementation, décloisonnement ou désintermédiation. Si l’on prend le budget de l’Etat qui est habituellement considéré comme un des principaux leviers de son action, le libéralisme est synonyme d’une diminution globale de son montant, sur le poste des recettes autant que celui des dépenses. Ce point est crucial parce que la mise en application simultanément de ces deux mesures n’est pas fréquente.

Décider d’une baisse des recettes de l’Etat, c’est-à-dire des impôts, qui permettrait de libérer les forces vives de la nation n’est pas le plus problématique. Rares sont les citoyens qui songeraient à manifester afin de continuer à acquitter leurs prélèvements obligatoires alors que l’Etat vient de les supprimer. C’est au niveau des dépenses que la situation se gâte. Les diminuer signifie réduire la qualité des services publics ainsi que le montant des prestations sociales offertes à la population. D’une certaine manière, surtout si l’on envisage une réélection, il faut un certain courage pour se risquer sur cette voie. En Grande-Bretagne, la « dame de fer », Margaret Thatcher l’a fait dans les années 1980. Les résultats de sa politique restent extrêmement controversés à ce jour, notamment concernant la dimension sociale, avec un appauvrissement de pans entiers de la population, mais sa politique a été objectivement conforme au credo libéral.

Aux Etats-Unis, malgré une rhétorique parfois très hostile à l’immixtion de l’Etat dans l’économie, la pratique des gouvernements successifs, y compris républicains, s’est située aux antipodes du libéralisme. Ronald Reagan, Président justement à l’époque de Madame Thatcher, a certes baissé les impôts des contribuables mais a augmenté significativement les dépenses publiques en raison de sa politique de réarmement dite «guerre des étoiles » qui a provoqué une explosion du déficit budgétaire. L’espace occupé par l’Etat s’est accru. Contrairement à une idée reçue, George Bush (fils) s’est inscrit dans la continuité de cette tendance. Il a réduit le niveau de taxation dans l’intention de stimuler l’initiative individuelle en même temps qu’il injectait des centaines de milliards de dollars dans l’économie, que ce soit pour soutenir les secteurs sinistrés à la suite du choc de l’année 2001 ou pour financer la guerre en Irak. Pour notre propos, les dépenses militaires produisent des effets similaires aux dépenses civiles dans le système économique.

Le théoricien de l’interventionnisme de l’Etat, John Maynard Keynes, explique précisément de quelle manière les déficits publics relancent l’activité économique. Tout se passe comme si une pompe était amorcée et dynamisait la croissance. Paradoxalement, ce qu’il décrit correspond à la perfection à la pratique de ces gouvernements supposés être libéraux. Il y a loin de la parole aux actes. Pour nuancer, Keynes était progressiste. Selon lui, les baisses d’impôts devaient profiter aux classes défavorisées d’autant que ce sont celles qui consomment le plus proportionnellement à leur revenu. Or, chez ces Présidents des Etats-Unis, il est important de souligner que la politique fiscale profite aux plus nantis. C’est cette bizarrerie qui a poussé le milliardaire Warren Buffet a plaidé en faveur d’une différenciation entre riches et défavorisés, les premiers devant être mis à contribution et les seconds bénéficier des baisses d’impôts.

Et Donald Trump dans tout cela ? Tel monsieur Jourdain qui faisait de la prose sans la savoir, l’actuel Président des Etats-Unis fait du keynésianisme sans en être conscient. Avec la même réserve que précédemment, il a conduit une spectaculaire baisse d’impôts destinée en partie à inciter les entreprises américaines à revenir s’installer sur le sol national. De plus, il présente son plan de développement des infrastructures, qui est chiffré à 1500 milliards de dollars au minimum, comme un des grands chantiers de sa présidence. Il n’est d’ailleurs pas certain qu’il sera validé par le Congrès. Les déficits qu’il est censé creuser ne sont pas du goût des membres du Tea Party qui, eux, sont d’authentiques libéraux et cohérents avec leur discours. Ils perçoivent l’interventionnisme de Trump comme une dérive à juguler absolument.

Si la politique du Président Trump soulève des interrogations, c’est pour d’autres raisons. L’économie des Etats-Unis tourne visiblement à plein régime. Le taux de chômage, qui avoisine les 4 %, est remarquablement faible. Il indique que la surchauffe économique est proche. Or, il se trouve que le rapatriement des entreprises américaines implantées à l’étranger cumulé à la politique de grands travaux requerra une main d’œuvre abondante. C’est à cet endroit que les choses se corsent. En effet, Donald Trump a clairement affiché une réticence face à l’immigration. Le Président ne sera accusé par personne d’éprouver de la sympathie envers les étrangers. A partir de là, qui fournira les bataillons de travailleurs nécessaires à toutes ces nouvelles activités productives ? Dans ces conditions, le risque d’un embrasement des salaires n’est pas à exclure. La perte de compétitivité des entreprises américaines, inhérente à l’inflation qui s’ensuivrait, serait catastrophique… le serpent qui se mord la queue en quelque sorte.

Conseils de lecture :

Mandeville Laure, Qui est vraiment Donald Trump ?, Paris, Equateurs, 2016.
Villemeur Alain, La croissance américaine ou la main de l’Etat, Paris, Seuil, 2007.

5 réflexions sur “UN LIBERAL, ÇA NE TRUMP PAS ENORMEMENT !

  1. Salut,
    Trump effectivement n’a rien d’un libéral. C’est un ultra conservateur qui se revendique comme tel. Tu aurais pu ajouter le fait qu’il rejette le libre échange au niveau international et prône une politique protectionniste.

    Je suis moins d’accord avec ce que tu écris sur deux points :
    – la différence entre libéral et un non libéral reposerait sur la baisse de la dépense publique. Or Thatcher est tout aussi conservatrice que Reagan ou Bush. Le règne du marché est l’aboutissement utopique et non le préalable à la construction d’un modèle libéral. Le préalable est la mise en place des conditions de concurrence pure et parfaite. L’égalité des chances en fait partie. Celle ci ne peut être garantie que par une autorité forte. Keynes était un libéral pragmatique très favorable au marché mais constatant qu’il fonctionne imparfaitement sans tutelle, demandant à l’état de le relancer en cas de besoin et de se retirer ensuite. Keynes n’a à ma connaissance prôné aucune nationalisation par exemple.
    – Le taux de chômage est officiellement de 4% aux USA. Je ne suis pas sur qu’il corresponde à une quelconque réalité. Les situations au regard de l’emploi sont devenues tellement diverses que les taux de chômage ne sont plus vraiment significatifs.
    Les tensions peuvent provenir d’une inadéquation entre le niveau de qualification requis et celui qui est disponible.

    A+

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    • pour être précis, le budget n’est qu’un critère parmi d’autres du caractère économiquement libéral d’une politique. Il y en a d’autres évidemment.
      La question marché préalable ou aboutissement est intéressante. Elle n’est pas tranchée chez les libéraux à mon sens puisque, pour Maurice Allais, une certain niveau d’égalité est un préalable (d’où son protectionnisme) alors que, pour Smith, c’est la concurrence qui uniformise les salaires, les profits, etc…
      Pour Keynes, là aussi, il y a débat : dans le chapitre 24 de sa Théorie Générale, il parle de « socialisation de l’investissement ». Qu’entendait-il par là ?

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  2. Le panel des économistes ou philosophes se réclamant du libéralisme est très large.

    Tu parles d’égalité. La plupart des libéraux parlent d’égalité des chances et acceptent les inégalités de revenu et de patrimoine. Le problème c’est qu’à un moment, les inégalités de revenu et de patrimoine ne permettent plus l’égalité des chances et donc le bon fonctionnement du marché.

    Les libéraux pragmatiques vont certainement vouloir limiter des inégalités de revenu ou de patrimoine ou vouloir créer un organe qui permet une correction des inégalités des chances (un système éducatif efficace par exemple).

    Je dirais que Smith est un libéral idéaliste qui n’a pas vraiment vu fonctionner le marché (18ème siècle). Friedman est un libéral idéologue. Keynes, Allais, Rawls sont des libéraux pragmatiques.

    Le marché et la concurrence ne sont pas un nirvana à atteindre absolument pour tous les biens ou services. On nous assène sans démonstration que la concurrence dans le rail est indispensable. C’est de l’idéologie. Aucun système privé ou public n’a prouvé son efficience ou son inefficience au niveau international (le privé fonctionne très bien au Japon, le public très bien en Suisse….).
    La théorie des jeux a, je crois, démontrer que la coopération pouvait être une organisation plus efficace que la concurrence.

    Macron se situe plutôt du côté idéologique du libéralisme : recherche constante de la flexibilité sans grand souci de l’inégalité des chances. C’est une politique conservatrice, à la limite réactionnaire. En caricaturant, on met un cul de jatte et Usain Bolt au départ d’un 100 m, chacun dans son couloir et on dit qu’on a organisé la concurrence.

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