TROP D’IMPÔT TANNE LA PEAU !

La protestation des gilets jaunes a réuni dans un même mouvement les classes moyennes-défavorisées laminées par la politique gouvernementale, pour qui la taxe sur l’essence était juste la goutte d’eau qui fait déborder le vase, et les militants en faveur d’une baisse forcenée des impôts. Au contraire, ne mélangeons pas.

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Le 30 novembre 1979, à l’issue d’un sommet européen couronné d’échec, la Première ministre britannique Margaret Thatcher s’était exclamée : « I want my money back ». Beaucoup avaient moqué son égoïsme, son étroitesse d’esprit. De l’eau a coulé sous les ponts. A l’ère du nombrilisme religieux et du selfie canonique, ce genre de remarque apparaît d’un coup frappé du sceau du bon sens. Mais reprenons le problème à son origine. Le projet de loi de finance 2019 prévoyait une augmentation de la taxe intérieure sur la consommation de produits énergétique (TICPE) qui était supposée faire entrer cette année-là 37,7 milliards d’euros dans les caisses de l’Etat. Or, selon un rapport de l’Assemblée nationale, seuls 7,2 milliards devaient être affectés au compte d’affectation spéciale « transition écologique », soit moins de 20 %. L’opposition et nombre de contribuables ont appuyé avec vigueur sur ce constat : l’écologie n’était qu’un leurre, un prétexte pour renflouer le budget de l’Etat, pas la destination finale des fonds. Cela s’appelle du greenwhashing et le gouvernement était accusé de le pratiquer sur une grande échelle.

Rappelons que la construction du budget repose sur cinq grands principes. L’universalité, qui est l’un d’entre eux, signifie qu’il n’est pas possible d’affecter une recette à une dépense spécifique. Il existe bien sûr des exceptions mais il s’agit de la règle. La vignette automobile a ainsi été supprimée pour les particuliers en l’an 2000 alors que cela faisait belle lurette qu’elle ne remplissait plus la fonction pour laquelle elle avait été instituée. Il est logique que le gouvernement établisse un lien de ce type. S’il augmente ses dépenses de 10 milliards, il sait qu’il lui faudra mettre en place de nouvelles recettes afin que le budget reste équilibré. Il communiquera même sur ce point. Cependant, cette relation entre une recette et une dépense n’a aucune valeur juridique. Par ce biais, le législateur souhaite maintenir la solidarité à l’intérieur de la nation. Si l’impôt sur le revenu était affecté au paiement des salaires des enseignants en histoire, on observerait certainement la naissance d’un mouvement visant à démontrer que cette matière n’a guère d’utilité. On pourrait imaginer pire : avec le léger inconvénient de finir sa vie en prison, l’assassin d’un professeur d’histoire pourrait être dispensé du paiement de l’impôt.

Ce raisonnement à un niveau global se heurte évidemment dans nos sociétés à une exigence de « sur mesure ». La fiscalité doit ressembler à de la mécanique de précision. Le citoyen souhaite que les cas particuliers, plus exactement le sien, soient pris en compte. Il réclame un traitement individualisé de l’impôt et obtient satisfaction. De ce fait, on assiste à une multiplication des niches fiscales, des exemptions. Selon Alexis Spire, les contribuables qui sont capables de se mouvoir à travers les arcanes du Code Général des Impôts (CGI) et bénéficient de ces dispositifs adhèrent plutôt à l’impôt. Ils ont le sentiment d’être dans une relation contractuelle avec l’Etat. Le souci est que ces mesures rendent le système totalement opaque aux yeux de la majorité des citoyens. Or, les commentateurs mettent en garde : le consentement à l’impôt requiert une compréhension minimale de la part du contribuable. Sinon, il rechignera – et encore plus s’il habite dans un pays comme la France. Or, c’est lui-même qui a contribué à rendre la situation illisible par ses demandes incessantes. C’est un bel exemple de schizophrénie en vérité.

Face aux revendications de baisse d’impôts, le Ministre des finances Bruno Le Maire s’est engouffré dans la brèche avec dans son sillage les composantes les plus libérales de la majorité parlementaire. Il a affirmé être pleinement en phase avec le message des manifestants. Afin de préserver l’équilibre du budget, cette réduction de la fiscalité s’accompagnerait forcément d’une baisse des dépenses publiques. L’Etat doit être soumis à régime amaigrissant très strict. Précisons que cette voie qui consiste à confier au secteur privé des services qui sont du ressort de la sphère publique ne connaît pas de limite claire. L’obsession de la maigreur confine parfois à l’anorexie. Pour les plus extrémistes des libéraux, les anarcho-libertariens, même les fonctions régaliennes n’échappent pas à ces coups de ciseaux frénétiques. La police n’est pas indispensable. Un individu qui mesure moins d’un mètre quatre vingt et n’est pas rompu aux techniques du krav maga conserve la liberté de souscrire des contrats auprès d’agences de protection privées. Au final, d’après eux, l’Etat est tellement inefficace que le progrès doit conduire à son évaporation.

Il n’y a pas que les individus chétifs qui se trouveraient marris si cela arrivait. De manière générale, l’Etat produit des services non marchands, comme la santé en France, et remplit une fonction redistributrice, qu’elle soit verticale par des transferts monétaires des nantis vers les défavorisés ou encore horizontale via la protection sociale, des personnes en bonne santé vers les malades par exemple. La quasi gratuité des services non marchands et la solidarité de la protection sont des boucliers pour les plus démunis. Ils n’ont aucun intérêt à une disparition de l’Etat puisque son intervention évite une explosion des inégalités. Que leur jaune détresse soient instrumentalisée par les libéraux est quelque peu ironique, voire pervers, mais, pour être juste, les vrais libéraux sont une espèce assez rare. Les chefs d’entreprise, toujours très prompts à se plaindre de l’ingérence publique, sont pourtant les premiers à appeler à son secours quand des nuages se dessinent à l’horizon. Un texte satirique de Frédéric Bastiat le souligne opportunément. Il y présente une pétition de fabricants de chandelles contre la concurrence déloyale du soleil. Ils exigent à cette intention que l’Etat ordonne aux citoyens de fermer leurs fenêtres. Lumineux !

Conseils de lecture :

Bastiat Frédéric, Sophismes économiques, Les Belles Lettres , Paris, 2005.
Spire Alexis, Résistance à l’impôt, attachement à l’Etat, Seuil, Paris, 2018.

2 réflexions sur “TROP D’IMPÔT TANNE LA PEAU !

  1. He oui peu de libéraux car un libéral ne peut être contre l’impôt. Il permet de financer, de faire survivre, un des fondement du libéralisme c’est à dire un minimum d’égalité des chances.

    Les chefs d’entreprise sont en général peu libéraux car ils n’apprécient pas particulièrement la concurrence. Leur objectif c’est le monopole.

    Chacun essaie de tirer du libéralisme ce qui l’arrange. La volonté d’avoir une vision globale peut limiter la schizophrénie.

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