MONNAIE HELICOPTERE

Dans « La chute du faucon noir », Ridley Scott reconstitue une opération militaire menée en Somalie par les forces américaines sous mandat des Nations Unies en 1993. Les événements s’enchaînaient quasiment selon le plan prévu jusqu’à ce qu’un premier hélicoptère, un Black Hawk, soit abattu puis un autre dans la foulée. C’est là que tout a dérapé. Attention donc à l’utilisation des hélicoptères et au supplice des pales. 

Les Banques centrales sont en charge de l’émission monétaire sur un territoire donné. Leur mission n’est cependant pas définie de façon uniforme par les institutions qui les ont enfantées. Aux Etats-Unis, le statut de la FED exige qu’elle intervienne énergiquement dès qu’elle sent que l’activité économique subit un ralentissement. Un petit coup de mou ? On injecte immédiatement des liquidités en comptant bien que cela déclenche une relance de la machine. En Europe, zone géographique où l’on adore se compliquer inutilement la vie, la BCE ne possède pas théoriquement les mêmes marges de manœuvre. Il a fallu beaucoup de créativité à son ancien Président, Mario Draghi, pour contourner les réglementations en vigueur en 2008 alors que la « crise du subprime » menaçait pourtant de provoquer un effondrement général. Pour les plus pointilleux, c’est-à-dire les Allemands, l’homme à la tête de la Banque centrale européenne ne faisait pas que frôler la ligne jaune, il la franchissait allègrement. Et rebelote avec l’inénarrable Christine Lagarde qui lui a succédé et la crise du covid.

 En dépit de ces différences, une espèce de consensus semble s’être dégagé parmi les grands argentiers. Il convient avant tout d’éviter un emballement inflationniste. A ce propos, la récente flambée des prix ne les affole pas outre mesure. Elle serait causée par les ratés du redémarrage de l’économie mondiale après la pandémie. Un autre point de convergence les réunit : le danger inverse, la déflation, doit être également écarté. Savoir que les prix vont piquer du nez incite à retarder les décisions d’achat – d’où une décélération, voire une mise à l’arrêt de l’activité. C’est plus cette menace qui a taraudé les Banques centrales ces derniers temps – d’où leur stratégie qui a consisté à baisser durablement les taux d’intérêt directeurs en escomptant que le mouvement initié se propage à l’ensemble des agents économiques, ménages et entreprises, via les banques commerciales. La succession des crises, qui requerrait à chaque fois des interventions de ce type a fini par rendre l’instrument inopérant. Quand les taux flirtent furieusement avec les 0 %, leur diminution n’est plus vraiment à l’ordre du jour.

Dans cette configuration, les autorités monétaires ont construit d’autres outils, moins conventionnels, pour atteindre leur objectif. L’ « assouplissement quantitatif » (quantitative easing) en fait partie : la Banque centrale achète massivement des actifs aux banques commerciales, y compris des titres de dettes, des obligations publiques. De cette manière, la quantité de monnaie en circulation augmente et pas qu’un peu – les montants étant habituellement colossaux. Le coût du crédit est censé connaître un allègement significatif et créer une dynamique de reprise. Seulement, dans ce cas comme dans la baisse des taux, la mise à disposition d’argent pas cher est une chose et la décision des agents économiques en est une autre. On a beau mettre de jolis billets de banque sous le nez des agents économiques, ils ne se précipitent pas illico aux guichets des banques pour emprunter – sans oublier que ces dernières ne jouent pas forcément le jeu. Après tout, avec toutes les liquidités récupérées, il y a des usages bien plus rémunérateurs qu’un crédit accordé au plombier du quartier. Ah, les marchés financiers !

En résumé, on ne peut que constater un fiasco dans la réalisation de la politique des Banques centrales. Entre elles, les banques commerciales et la population, la chaîne de transmission ne fonctionne pas. Il n’y a toutefois pas de déperdition pour tous. Cet argent bon marché est une opportunité pour les spéculateurs. Ce sont des munitions qui alimentent sans discontinuer la hausse de certains actifs au point de former des bulles sur les marchés financiers, voire immobiliers. La croissance des inégalités qui en résulte n’est pas juste un problème social. Si le mécanisme de stimulation de l’économie par l’intermédiaire des banques enregistre de tels ratés, c’est précisément en raison de ces mêmes inégalités. La concentration des richesses se conjugue avec la concentration du crédit, d’où un cercle vicieux. L’argent va à l’argent qui en profite alors pour faire des petits. Les indices boursiers prennent des couleurs mais au détriment des activités économiques qui n’en voient pas la moindre. La déconnection entre les sphères financière et économique s’avère de plus en plus en marquée.

C’est dans ce contexte que l’option du recours à une monnaie hélicoptère a été évoquée sérieusement. L’inventeur de l’expression, Milton Friedman, l’envisageait plutôt comme un exercice intellectuel. L’image que pièces et billets tombent du ciel sur les citoyens ravis est parlante. Sur le fond, son sens n’est pas anodin. S’il faut mettre en place un système aussi sophistiqué de distribution d’argent aux agents économiques, c’est parce que les banques ne remplissent pas leur tâche. Etant donné que les détenteurs de fortunes se sont positionnés devant leur porte d’entrée afin d’intercepter toute sortie de monnaie, la solution semble résider par le toit où des hélicoptères pourraient se poser. On y chargerait des sacs de billets puis, hop, décollage… jusqu’au toc-toc à votre porte : « Bonjour Madam.e, Monsieur.e, une livraison pour vous de la part de la Banque centrale ». Certes, Jesse James et les pauvres frères Dalton se retourneraient dans leur tombe mais, pour la majorité de la population, il s’agirait probablement d’une excellente nouvelle. Maintenant, au-delà de l’agréable sensation de palper des espèces sonnantes et trébuchantes, il est possible de s’interroger sur la situation. Quels seraient les critères de la redistribution ? Qui les fixerait ? Et s’il l’on interdisait aux gens d’être pauvres ?  

La maxime (Abba) :

Money, money, money  

Must be funny

In the rich man’s world

Money, money, money

Always sunny

In the rich man’s world

Aha

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