Il vaut mieux être riche et en bonne santé que pauvre et malade. Cela tombe bien car les deux vont de pair. Traduction : il vaut mieux être un golden boy rémunéré par une grande banque qu’un misérable qui a passé trente années dans une mine. Parce que, effectivement, « les prisonniers du boulot ne font pas de vieux os ».

Il y a plusieurs façons de mettre en évidence les inégalités sociales en rapport avec la santé. L’une est économique. Selon l’INSEE, un ouvrier casse sa pipe six ans avant un cadre – l’écart n’étant que de trois ans chez les femmes. Ces différences d’espérance de vie ne sont pas anodines. Dans notre système de retraite par répartition, elles signifient que les actifs paient in fine la pension des catégories privilégiées qui vivent plus longtemps. Il existe également une approche plus sociologique. A l’instar du cancer des poumons, de nombreuses pathologies sont causées par des fléaux qui affectent en priorité les plus défavorisés, l’alcoolisme et le tabagisme par exemple. Dans ce cas, rien n’est inéluctable ou prédéterminé. Tous les ouvriers ne boivent pas, y compris dans les livres d’Emile Zola. Le cadre social crée des conditions propices à des comportements qui se retournent contre ceux qui les adoptent mais il s’agit de décisions individuelles. La responsabilité de ces « pécheurs » est donc engagée. Pour fixer dans quelle mesure, les débats sont particulièrement animés.
Mais voilà, il y a aussi des situations dans lesquelles aucun travers ne peut être imputé au malade. Elles renvoient le plus souvent aux activités professionnelles. Dans un ouvrage portant sur cette thématique, Annie Thébaud-Mony montre que la présomption d’un lien entre travail et questions sanitaires est assez ancienne. Au dix-huitième siècle, un médecin italien nommé Bernardo Ramazzini était persuadé que les ouvriers exerçant des métiers spécifiques avaient une (mal)chance d’être victimes de maladies provoquées par la toxicité de produits se trouvant dans leur environnement, comme les peintres qui étaient exposés à la dangerosité du plomb. Les preuves empiriques faisaient forcément défaut mais ce précurseur recommandait déjà aux toubibs d’interroger les patients sur leur profession. Hélas, il n’a pas été suivi. Pendant longtemps, les mauvaises langues diront jusqu’à aujourd’hui même, l’ensemble des renseignements obtenus par les médecins sur la maladie de leurs patients, qu’on appelle l’anamnèse, n’a accordé aucune place à cette dimension professionnelle – comme s’ils avaient été frappés d’amnésie.
L’invention du stéthoscope est attribuée à René Laennec. De sa forme primitive, une feuille de papier roulée en cylindre à l’instrument d’auscultation actuel, des évolutions significatives ont été enregistrées. Il fut un temps où, avec sa fameuse requête « dites trente-trois », le médecin cherchait à obtenir un son grave qui ferait mieux vibrer la cage thoracique qu’un lamentable « dix-huit ». C’est devenu inutile de nos jours. Tout au plus, le patient est-il invité à tousser quand le docteur place les embouts du stéthoscope dans ses oreilles. Les informations collectées sont de meilleure qualité sans oublier qu’une radio des poumons permet dans la foulée d’affiner le diagnostic. En d’autres termes, il est beaucoup plus facile qu’auparavant d’annoncer à un pauvre hère qu’il souffre d’un cancer des poumons, avec davantage de certitude et de précision. Ces progrès contrastent avec la relative inertie qui touche l’analyse des causes de la maladie. Si le patient avait alors le malheur de fumer, la solution était toute trouvée et il n’y avait aucune utilité à pousser les investigations : le patient ne savait pas lire puisque, sur les paquets de cigarettes, il y avait écrit « nuit gravement à la santé ». Sur ce plan, les choses ont plus de mal à bouger.
Pourquoi de telles œillères ? Il n’y a nul besoin de supposer que la corporation des médecins est globalement incompétente ou à la solde des industries qui risquent la vie de leurs salariés. Inutile de chercher un bouc-émissaire. C’est plus simple : l’Etat accomplit mal ses missions ; ses procédures de surveillance des activités économiques sont défectueuses. Tant que le docteur s’en sera pas conscient, face à un patient, son interprétation penchera rarement en faveur d’une maladie professionnelle. Quand la carte de France indique un excès de certains types de cancer dans des régions minières, le réflexe n’est pas d’associer la maladie et le travail. Sinon, ça se saurait, se disent les hommes en blouse blanche. Et puis, dans ces régions où règne la pauvreté, l’alcoolisme et la tabagisme sont des explications commodes et immédiates. En plus, pour rendre la situation encore plus opaque, quantité de ces pathologies ne se déclare qu’après plusieurs dizaines d’années. L’attitude des pouvoirs publics constitue la clé. Il est essentiel de comprendre leur retard à l’allumage sans s’embarquer dans une logique complotiste.
Il est normal que l’Etat exige des preuves. Quand on voit que des zozos sont capables d’établir un lien entre le COVID-19 et la 5G en téléphonie mobile en s’appuyant sur des cartes de la 4G, parce que la 5G n’est pas encore déployée dans ces contrées où elle réussit pourtant l’exploit de répandre le coronavirus (!), on avance à pas de loups. Il ne faut pas non plus oublier que le « principe de précaution » est une création plutôt récente. Jusque-là, la règle était « tant qu’on n’a pas la certitude que c’est nocif, on utilise». Cependant, en dépit de ces circonstances atténuantes, sur l’amiante, la radioactivité et des tas d’autres problèmes, des études plus qu’alarmantes avaient été produites. Que les autorités sanitaires se soient contentées de contre-études financées par les industries sur la sellette pose question. Avec un minimum de bon sens, la conclusion aurait dû être « les chercheurs qui travaillent sur commande privée sont-ils vraiment crédibles ? » et non pas « ces deux groupes d’études s’annulent ». Lorsqu’une compresse est oubliée dans un corps, est-il vraiment indispensable d’interroger la petite pièce de gaze pour confirmer que la tumeur du patient a bien été causée par elle et pas par autre chose ?
La maxime (Alphonse Allais) :
L’avantage des médecins, c’est que quand ils commettent une erreur,
Ils l’enterrent tout de suite…