Selon une jolie légende, le jeu des échecs aurait été inventé par les Perses. Avec son étrange ordre d’attaque sur Israël, il est possible que l’ayatollah Ali Khamenei se soit toutefois pris les pieds dans le tapis persan de son salon, situé au 710 de la rue des Martyrs, deuxième étage, porte droite, à Téhéran. Frappez sans entrer SVP.
Quelques éléments de contexte soulignent que les acteurs régionaux ne se distinguent pas par leur rationalité, une qualité pourtant bien utile quand on joue aux échecs. Au début de l’année 2023, la société israélienne se déchirait à propos d’un projet de réforme judiciaire. Le Hamas en a profité pour l’attaquer. Ce qui a suscité en retour l’union sacrée des Israéliens : « nous nous auto-détruirons nous-mêmes, vous n’avez pas intérêt à vous en mêler ». Depuis, l’armée israélienne essayait de récupérer ses otages et de mettre hors d’état de nuire l’organisation terroriste, s’attirant ainsi les foudres de la communauté internationale. Paradoxalement, l’un des principaux reproches (justifiés) adressé à Benjamin Netanyahu est qu’il n’aurait jamais dû auparavant transiger avec le Hamas. Comprenne qui pourra… En attendant, Yahya Sinwar, qui n’a jamais cherché le bien-être de sa population, ni la création d’un état palestinien mais uniquement à délégitimer Israël, pouvait se réjouir chaque jour. L’Etat juif perdait ses derniers soutiens. Les accusations habituelles d’apartheid, de génocide, de meurtre rituels d’enfants fleurissaient.
L’Iran n’avait qu’à laisser faire. En faisant avancer ses quelques pions sur l’échiquier, qu’on appelle ses proxys, notamment le Hezbollah, les Houtis et les milices pro-iraniennes d’Irak, la république islamique distribuait même quelques coups à l’Etat hébreu selon la règle tacite qui s’était instaurée entre les deux états : « tu me tapes, je te tape, mais toujours en impliquant des tiers, leurs armes ou bien leur territoire ». Or, lors de ces échanges, l’Iran a perdu un pion plus important que les autres, le général Reza Zahedi. Et là grosse colère de Ali Khamenei qui a menacé ouvertement – en Iran, les menaces, elles, ne sont pas voilées – d’attaquer directement l’Etat hébreu, un casus belli pour le coup incontestable avant de passer à l’acte à la surprise générale. En envoyant ses tours et ses cavaliers à l’assaut des défenses israéliennes, les mollah n’y sont pas allés mollo : plus de 300 drones, missiles balistiques et autres joyeusetés ont été comptabilisés. Les conséquences de cette offensive baptisée « Promesse honnête », sont nombreuses et pas toutes mesurables. La première est que l’Iran a soudainement rendu Israël moins détestable. Autrement dit, l’objectif numéro du Hamas rencontre un obstacle majeur.
Bien sûr, ce regain de sympathie est sous condition. Comme pour le 7 octobre, le rôle des Juifs est d’attirer la commisération, surtout pas pour se défendre. On ne gomme pas deux mille ans d’histoire d’un trait de plume. Dès qu’Israël décidera de fumer du chiite, comme le droit international l’y autorise, on retombera dans la stigmatisation habituelle : carnage, génocide, etc. L’ayatollah insoumis Melenchoni a déjà commencé à prêcher en ce sens : l’Etat juif est responsable de la situation – c’est un fauteur de guerre qui doit être neutralisé, un danger pour la paix mondiale qui paiera pour ses agissements au bout du compte. Si l’on excepte qu’il mentionne parfois le nom de Benjamin Netanyahu, on se trouve face à un copier-coller des diatribes enflammées d’Adolf Hitler. Dans ces circonstances, les Etats-Unis pressent le gouvernement israélien de ne rien entreprendre contre l’Iran. Il n’est pas certain que la défense du capital sympathie d’Israël soit centrale pour Joe Biden. Il est plus probable que le risque d’une crise économique mondiale soit prépondérant. L’intérêt d’Israël est-il de frapper maintenant ? Pas sûr mais Israël frappera à un moment ou à un autre.
Si l’establishment militaro-politique israélien a à ce point dysfonctionné le 7 octobre, c’est parce que depuis des années il concentrait toutes ses ressources et son intelligence à la question iranienne. Il y avait quelque chose de pathétique à voir les unités du génie de Tsahal tester en temps réel la possibilité d’inonder les tunnels creusés par le Hamas alors que l’organisation terroriste avait réfléchi à des contre-mesures depuis quinze ans. Dans la guerre contre l’Iran, rien de ce laisser-aller. Les scénarios et les plans d’action sont dans les tiroirs. Ils sont prêts. Il faut juste espérer qu’Israël les utilise avec sagacité. A la différence du cas palestinien, la population iranienne n’est pas majoritairement anti-israélienne. Les réseaux sociaux regorgent d’images de stades de football où les appels de soutien à la cause palestinienne ont été conspués par les spectateurs iraniens. Mona Jafarian, la présidente de l’association Femmes Azadi, qui milite pour les droits des femmes iraniennes a condamné l’attaque iranienne. Les Iraniens aspirent à la modernité, pas à être instrumentalisés par la gauche décoloniale occidentale.
Une autre conséquence de l’offensive iranienne n’est pas moindre. Ali Khamenei a montré à la face du monde qu’il se moquait entièrement des Palestiniens. Tandis que les combats faisaient rage à Gaza, il n’est pas intervenu. Malgré les appels au secours désespérés de Yahya Sinwar, le fou du Hamas, il n’a pas bougé le petit doigt mais il a suffi qu’il perde son pion chéri, Reza Zahedi, pour qu’il se lance dans une aventure militaire insensée. En ce sens d’ailleurs, apprécions l’ironie, il rejoint son peuple. Le gouvernement iranien utilise l’argument de la Palestine afin de justifier son intention de détruire Israël. Pire que cela, l’opération «Promesse honnête » nuit à la cause palestinienne puisqu’elle détourne l’attention du monde de la situation à Gaza. Et puis, imaginons un scénario, contre une non-intervention de Tsahal en Iran, les Etats-Unis pourraient redonner davantage de latitude à Israël à Gaza, pour mener son opération à Rafah. Quoi qu’il en soit, l’Etat hébreu est fixé : si l’Iran le visait un jour avec des missiles nucléaires, la communauté internationale, y compris ses amis, appelleraient d’abord à éviter une escalade de la violence.