Le réalisateur Fritz Lang était un visionnaire. Des critiques ont affirmé que l’action de la pègre dans « M le Maudit » préfigure le nazisme. Pour les antivax, le nom du docteur Mabuse annonce la manie de piquer ses patients à l’ère du Covid-19. Pour ce qui est de « Metropolis », cette dystopie qui se déroule dans une mégapole divisée en deux zones, l’une riche et l’autre pauvre, est un prélude… des cours de géographie à la sauce moderne.

En s’inspirant de Rutebeuf mis en musique par Léo Ferré, « que sont mes cours de géographie devenus »? Il fut un temps où, au collège comme au lycée, cette matière était une pure promesse de voyage. Les enseignants les plus imaginatifs demandaient à leurs élèves de venir en classe avec un passeport valide. Le programme permettait de parcourir la planète assis sur son siège, Etats-Unis, Japon, Chine, les grandes nations européennes, l’Afrique et, quand l’argent faisait défaut, l’exploration se limitait aux régions françaises. Ces périples étaient l’occasion rêvée de découvrir les ressources dont le sol de ces contrées était pourvu et les activités économiques qui y étaient développées. Les élèves émerveillés apprenaient qu’il existe des arbres à pain mais qu’il n’y pousse hélas pas de baguette. Dans le même élan, ils s’enthousiasmaient au son des mots « fer », « zinc », « manganèse », « tungstène ». La connaissance de l’utilisation de ces métaux et des principales industries des pays visités faisaient évidemment partie des formalités de contrôle aux frontières.
De nos jours, de la classe de sixième à la terminale, le programme se résume à la « métropolisation ». Toutes les thématiques ramènent nos chères têtes blondes à ce maître-mot : l’aménagement du territoire, l’espace urbain, les problématiques démographiques, la mondialisation, les mobilités, l’Union Européenne… Une métropole est « une grande ville qui concentre de nombreuses fonctions de commandement politique, économique ou culturel à différentes échelles, y compris et surtout mondiale ». Cette définition, les jeunes l’ânonnent et la connaissent par cœur tout en la reconstituant d’année en année grâce à des applications passionnantes qui leurs sont proposées en classe… des fois qu’ils l’auraient oublié durant l’été. La ligne 4 du métro de Paris, elle arrive à la Porte d’Orléans ou celle des relous ? Les pédagogues n’oublient jamais de rendre les choses concrètes. Une année, on compare Londres et Lagos ; l’année suivante, on répète l’opération pour New York et Dacca. De cette façon, le dépaysement reste garanti pour les adolescents en quête d’expériences étourdissantes.
Les jeunes qui se réveillent au milieu de la nuit, transpirant comme des baleines, hantés par les métropoles, sont légion – la métropolisation plutôt, puisque l’essentiel est de décrire le processus qui se déroule actuellement, sans réelle prise de recul. Attention à ne pas faire d’histoire en cours de géographie ! Il y aurait pourtant un intérêt à revenir à la naissance des villes, aux relations complexes entre elles et les campagnes. A ce propos, le livre de Paul Bairoch sur les rapports entre villes et économie est un classique qui n’a pas pris une ride. Pourquoi tant de paysans ont-ils quitté leur cadre de vie pour s’agglutiner dans des métropoles à partir du dix-neuvième siècle ? Quelles en sont les conditions de possibilités ? On ignore souvent qu’une Révolution agricole a précédé la Révolution industrielle. Il fallait être capable de produire davantage de blé avec moins d’agriculteurs, c’est-à-dire réaliser des gains de productivité, pour vider les campagnes. L’autre condition était politique : avec le système des « enclosures », le parlement anglais mettait un terme au droit d’usage des communaux, empêchant les paysans de gagner leur vie décemment à l’ancienne. Ils ne sont majoritairement pas partis en quête d’un eldorado mais ont été chassés de chez eux en quelque sorte.
Avant cet exode rural, les villes dépassant les 100 000 habitants avaient été assez rares dans l’histoire. La question des transports urbains ne se posait pas. Presque tous les citadins étaient à « mobilité réduite » et, s’ils se déplaçaient volontiers à pied, c’est parce que, pour une densité raisonnable de 350 habitants à l’hectare, leur ville était contenue dans un carré de 1,7 km de côté. Du centre, ils en atteignaient les limites en moins de 15 minutes. En outre, les rues étroites et la fragilité du revêtement avaient conduit à une stricte réglementation de la circulation des véhicules à roues. Pendant longtemps, à Paris, seuls le roi et quelques nobles étaient autorisés à voyager en carrosse. Les riches pouvaient utiliser le cheval ou la chaise à porteur. La croissance fulgurante des agglomérations a rendu les transports en commun indispensables. A part une tentative qui a échoué par manque d’usagers au dix-septième siècle, la première ligne d’« omnibus » a été mise en place au dix-neuvième siècle en France. On le doit au dénommé Stanislas Baudry qui avait organisé un service de voiture pour accéder à son établissement de bain. Beaucoup de voyageurs l’ont emprunté… mais sans aller se laver. Vous avez dit sérendipité ?
Les participants du jeu vidéo SimCity fondent une ville. Revêtant les habits du maire, leur objectif est de la faire prospérer en tenant compte d’une forte contrainte budgétaire. De ce fait, ils se trouvent confrontés à des choix d’investissement – voirie, électricité, eau, parcs, par exemple – qui leur font toucher du doigt les avantages et les inconvénients d’une résidence en ville. Ainsi, la proximité entre personnes facilite la circulation des idées et une certaine forme de progrès mais également la propagation des maladies ou les nuisances sonores. Le seuil à partir duquel les coûts l’emportent sur les bénéfices est discuté par les spécialistes. Il tourne autour de quelques centaines de milliers d’habitants, loin en tout cas des dizaines de millions qui peuplent les plus grandes mégapoles. Avec ce type d’approche pédagogique, les jeunes générations pourraient disposer de plus d’éléments afin d’arrêter leurs choix de vie plutôt que de conclure qu’ils doivent absolument chercher à s’installer en métropole, « the place to be ».
La maxime : (Alphonse Allais)
Le comble de l’erreur géographique :
croire que les suicidés sont les habitants de la Suisse.