FAITES LA FÊTE !!!!!

Le monde moderne se décline au mode festif allégrement mâtiné de ludique. Dans ces conditions, c’est le calendrier qui trinque en premier… et de plus en plus à la santé d’intérêts commerciaux à peine dissimulés qui s’engouffrent dans la brèche. Marketing, quand tu nous tiens !

fête.jpg

Notre calendrier porte les traces d’influences d’historiques disparates. Le choix au sixième siècle de la naissance approximative de Jésus Christ comme point d’origine témoigne évidemment de l’ascendant progressif du christianisme dans l’ancien Empire romain. Auparavant, le décompte des années était effectué à partir de la naissance présumée de la ville de Rome. L’empreinte du monde-gréco-romain est cependant loin d’avoir disparu. Elle se remarque notamment dans le nom des mois et des jours de la semaine. Quoique conservant un ancrage solaire, le calendrier de la Révolution française a pourtant cherché à faire table rase de la plupart de ces influences jugées néfastes. En s’appuyant sur le système décimal, il espérait imposer une nouvelle façon de découper l’année en séquences mais sa tentative a fait long feu. Dans le monde globalisé qui est le nôtre, le calendrier grégorien a fini par triompher permettant simplement à des personnes de cultures éloignées de se comprendre quand elles évoquent ensemble une date.

Bien que le cadre général soit devenu quasiment universel, des différences significatives existent entre pays à propos des journées importantes qu’il convient de cocher dans le calendrier. Dans le monde occidental, la religion chrétienne continue de faire office de repère. Parfois il s’agit simplement de fêtes païennes christianisées comme dans le cas de la Noël et de la Saint-Jean qui se sont substituées à la célébration des solstices. De plus, productivisme oblige, le nombre de jours chômés rattachés à des commémorations religieuses a chuté en flèche depuis le Moyen Age. Il n’empêche que Pâques, l’Ascension, la Toussaint et Noël rythment la vie des populations. Chaque pays souligne également en rouge les dates qu’il est essentiel de rappeler au bon ou mauvais souvenir des citoyens. En France, le 14 juillet est ainsi considéré comme la fête nationale. Quand l’événement est grave, il est difficile de doper les ventes sauf s’il s’agit du décès d’un chanteur populaire. L’invention de la minute d’applaudissements permet au moins de rendre le moment moins lourd que la minute de silence.

Le nombre de ces journées incontournables est relativement réduit. Il reste de la place dans le calendrier pour que nos chères entreprises puissent prendre soin de leur chiffre d’affaires. La fête des mères  a profité de ce contexte pour s’installer à plusieurs endroits différents au début du vingtième siècle même si, dans le cas français, sa résonance avec la devise « travail, famille, patrie » de la France pétainiste est demeurée dans les mémoires. Sans même la pression de mouvements masculinistes, elle a ouvert la voie à l’inscription de la fête des pères puis de celle des grands-pères et des grands-mères dans le calendrier. En tenant compte à la fois de cette dimension intergénérationnelle et de l’allongement de l’espérance de vie, on imagine aisément les arrière-grands-parents piaffant d’impatience dans l’antichambre. La fête des belles-mères n’est pas encore à l’ordre du jour mais elle pourrait l’être rapidement si un lobby économique estimait qu’un tel événement pouvait l’aider à écouler un stock de marchandises – en l’espèce de l’arsenic plutôt que des vieilles dentelles.

Cette innocente boutade met en exergue, non le lien qui existerait entre les belles-mères et certaines catégories de poisons, mais bien que les entreprises s’emparent de plus en plus du calendrier à des fins commerciales. La fête d’Halloween le démontre tout autant. L’importation de cette tradition anglo-saxonne, qui remonte à la fin des années 1990, suscite les railleries des individus que la beauté d’une citrouille n’émeut point. Toutefois, l’emprise du marketing est souvent plus insidieuse – ce qui est d’ailleurs une des clés de son succès. Ainsi, d’aucuns ignorent que la fête des grands-mères a été conçue par le café du même nom. De la même manière, à l’origine de la « Journée du goût », devenue «Semaine du goût » se trouve un organisme interprofessionnel du secteur… du sucre. L’objectif déclaré était de s’opposer à la mode du « light ». Grâce à un argumentaire parfaitement rodé, cette manifestation a réussi à s’introduire dans les écoles. Encore des dates à ne pas oublier de cocher dans le calendrier. Rendez-vous, vous êtes cernés !

Procéder à une extension, comme dans le cas du goût que les détenteurs de papilles sont invités à cultiver une semaine dans l’année plutôt qu’un jour, est une excellente stratégie. Le «Black Friday» en est une illustration supplémentaire. Aux Etats-Unis, cette tradition encourage les achats massifs le lendemain du jeudi de Thanksgiving tous commerces confondus. Lors de sa récente introduction en France, les promotions concernaient presque exclusivement les achats sur Internet. Une correction a été apportée afin que le commerce en magasin ne soit pas tenu à l’écart, conformément à la pratique américaine finalement. Les vendeurs magnanimes ont imaginé une cession de rattrapage pour les retardataires, le «Cyber Monday» mais exclusivement cette fois sur Internet pour les punir. Fête de la nature, fête des voisins, cochons vite les dates, cochons.

Des sites répertorient les journées nationales, internationales ou mondiales ainsi que les fêtes de toutes sortes. Ils ne savent plus où donner de la tête mais les injonctions ne sont heureusement pas toujours contradictoires : les excès de la « Journée internationale sans régime » du 6 mai 2017 justifiaient la « Journée européenne de l’obésité » programmée presque deux semaines plus tard, le 19 mai. Il faut noter par-dessus le marché, sans jeu de mots bien sûr, que les populations résistent parfois. Dans les écoles primaires, les institutrices ne reçoivent habituellement pas leur bol « merci maîtresse » à l’occasion de la « Journée mondiale des enseignantes et des enseignants » mais le dernier jour de classe. Pour écouler les stocks de ces bols, il serait certainement avisé de mobiliser en parallèle la « Journée mondiale de l’orgasme ». Après tout, il y a d’autres types de maîtresses envers lesquelles il est possible d’exprimer sa gratitude. Pour information, le 8 janvier 2018 fait relâche. Certains en profiteront pour souffler. D’autres envisageront de festoyer en l’honneur de l’absence de fêtes…

Conseils de lecture :

Dalisson Rémi, Les fêtes du Maréchal, Paris, Biblis, 2015.
Haquet Charles et Lalanne Bernard, Tyrannie du mot de passe et autres petits tracas de notre temps, Paris, Mercure de France, 2017.