Tous les êtres vivent avec des objectifs. Qu’ils en atteignent un et voilà qu’une sensation étrange les envahit. Au moindre but, un footballeur qui se respecte se précipite vers le grillage qu’il se met à secouer comme un prunier en poussant des grognements d’animal. La quête est pourtant plus importante encore que la satisfaction même de l’objectif. Tout est dans la quête.

C’est la faim qui justifie les moyens. Parfois, il faut mettre les bouchées doubles mais, en définitive, la nature des moyens mis en œuvre pour toucher au but fait l’objet d’une authentique réflexion. Albert Simon disait avec beaucoup de justesse qu’« il ne faut pas confondre vitesse et précipitation » et cette pensée sans nuage a beaucoup plu. C’est pourquoi, avant de se lancer, l’homme se remue habituellement les méninges afin d’établir la suite des actes qu’il est supposé entreprendre. C’est leur enchaînement logique qui doit le mener à la terre promise. Par contraste, le modèle du primitif qui fonce dans le tas sans se poser de questions est Obélix. Le brave guerrier gaulois est tellement moqué qu’on lui impute également une ignorance de son objectif final : « Je ne sais pas où on va mais on y va » clamerait-il, parce que fins et moyens sont indéfectiblement liés. Il est clair que les choses ne se font pas toutes seules. Innocence de l’enfance exclue, nous sommes conscients que vouloir obtenir quelque chose d’exceptionnel implique forcément l’accomplissement d’une action à un moment ou à un autre. Pour gagner cent millions d’euros au loto, il faut d’abord acheter un ticket.
Le mot « planification » est particulièrement moche et daté. Il fait songer immanquablement à l’Union soviétique et à ses industries lourdes, pas vraiment la souplesse du chat et l’exigence d’adaptation permanente de notre économie en pleine effervescence. Et puis il rime avec pétrification, vitrification, ossification, fornication forcément, et même problème de mastication. Le mot « planning» l’a remplacé depuis un moment, et avec une incontestable réussite. On le met même aujourd’hui, il faut le dire, un peu à toutes les sauces : « rétro » quand on remonte le fil des événements depuis la fin jusqu’au début, « aqua » si l’on se trouve sur un plan d’eau mouillée, « familial » quand la famille est en jeu, etc… La transformation ne se réduit pas à introduire du « globish » dans le langage courant. Ceux qui ont du nez observent que l’on est passé d’un « n » à deux « n ». Evidemment, la question pourquoi tant de « n » est sur toutes les lèvres mais la réponse données par les spécialistes de la langue, les linguistes, n’est pas forcément convaincante. La forme de la lettre « n » qui serpente évoque un potentiel d’ajustement. Quand elle est double, on est encore plus rassuré. On se détend puis on retire sa petite laine.
Herbert Simon, un économiste qui n’a rien à voir avec son homonyme du premier paragraphe, s’est intéressé à la faculté de l’homme, ah et de la femme, à mettre en adéquation ses fins et ses moyens. Le résultat est lui aussi moyen. L’individu n’est pas très fin. En fait, sa rationalité est limitée, c’est-à-dire que sa capacité à collecter, stocker et à interpréter l’information est bornée, comme lui en un sens. Par exemple, un responsable éprouvera de la peine à gérer plus de trente personnes en supervision directe avec efficacité – d’où l’instauration de plusieurs niveaux hiérarchiques pour structurer les grandes organisations. Ce même Simon est allé plus loin à ce propos avec l’idée de « rationalité procédurale ». Dans une partie d’échecs ou à Mario Kart, il est impossible de connaître à l’avance tous les coups que l’on va jouer. Il existe un processus de révision constante des moyens que l’on met en oeuvre et éventuellement des objectifs. Quand on a bêtement perdu sa reine aux échecs ou que l’on a pris une carapace tortue sur la tête à Mario Kart, le but n’est plus d’écraser l’adversaire mais de sauver le match nul, de s’en sortir honorablement. Pour fanfaronner, on attendra une autre fois.
Les expressions utilisées pour rendre compte de la motivation, de l’intensité de l’effort, s’appuient souvent sur le corps humain. On se « décarcasse » volontiers – ce qui, physiquement, est une jolie performance… mais, hélas, cela ne suffit pas toujours. Il arrive que l’on soit ensuite amené à « faire des pieds et des mains » – en n’oubliant pas de « se retrousser les manches » pour que les mouvements soient plus faciles – par opposition avec les misérables « deux de tension » qui s’en fichent et « ne bougeront pas le petit doigt ». Quid des estropiés ? Ils ne seront heureusement pas dans la panade à condition toutefois qu’ils évitent de « se plier en quatre ». Ils ont en effet la possibilité de « mettre tout leur cœur » à l’ouvrage. Bien sûr, une nouvelle difficulté surgit à cet endroit : il y a aussi des Harpagon qui n’en ont pas. Qu’à cela ne tienne, pour ceux-là et pour les plus déterminés, il reste à tenter le tout pour le tout, à savoir « remuer ciel et terre » en espérant un coup de pouce du destin mais alors, comme dit la chanson, « attention les secousses » et bien garder à l’esprit que certains maux comptent triple. Dans tous les cas de figure, il est impératif de ne foncer ni « la tête la première », ni « dans le mur ».
La maxime : (Alphonse Allais)
Ne remets pas à demain,
Ce que tu peux faire après-demain