Les jeunes sont les principales victimes des mesures mises en place pour endiguer le coronavirus. Ils ont également été au centre d’une autre discussion importante. Le groupe parlementaire « Ecologie Démocratie Solidarité » souhaiterait abaisser la majorité électorale de 18 ans à 16 ans. C’est pour compenser ou pour mettre un coup de plus sur le ciboulot à ces malheureux ?

La présentation de la proposition de loi devant le Parlement a été différée mais l’intention demeure sérieuse. Le constat de départ n’est pas la découverte d’une soudaine poussée de maturité des jeunes générations. Aucune étude n’a encore démontré la corrélation entre centimètres, acné juvénile et implication dans la vie de la cité. A cet égard, Greta Thunberg n’est pas un exemple. Son cas est atypique même si son audace est exceptionnelle. Il n’y a en effet probablement pas un écolier qui n’ait rêvé un jour d’annoncer à ses parents: « Je ne vais plus aller à l’école. J’ai une tâche plus importante : je dois sauver la planète » mais, elle, elle l’a fait ! Que la cause soit juste n’est pas la question, le législateur ne peut prendre comme modèle une jeune fille qui distribue les bons et les mauvais points aux adultes en assumant de se couper des sources du savoir. Sur quelle base forme-t-elle son jugement ? Voir tous les jeunes du pays déserter les lieux d’apprentissage afin de défiler pour une cause universelle serait certes sympathique mais un poil incohérent.
C’est pourquoi le raisonnement des partisans de l’abaissement l’âge du droit de vote doit s’appuyer sur d’autres arguments. La concomitance de deux observations pourrait être une piste. Le taux de participation des adultes aux élections est en chute libre – le parti des abstentionnistes est devenu largement majoritaire – tandis que celui des élèves aux élections des délégués de la classe est incroyablement élevé. Alors on pourrait envisager que le corps électoral soit revigoré par l’afflux d’un sang neuf. Cependant, les thématiques de campagne ne sont pas les mêmes à l’école – « Moi délégué, il n’y aura plus de devoirs / Moi délégué, il y aura des frites tous les jours à la cantine » – que dans le système politique. On conçoit mal que les jeunes puissent se sentir concernés si les débats venaient à tourner autour des mesures fiscales et du déficit de la sécurité sociale qui sont pourtant des incontournables de la campagne des adultes. En outre, proximité oblige, il faudrait faire venir les candidats à l’élection présidentielle dans chaque lycée, voire dans chaque classe. Ce ne serait pas vraiment praticable.
Les faits confirment cette analyse. Quand ils atteignent la majorité électorale, les jeunes ne se rendent pas massivement aux urnes. Indépendamment de la défiance actuelle envers la classe politique qui vaut pour toutes les classes d’âge, ils ont toujours eu tendance à moins voter que leurs parents. Il n’y a pas de mécanisme de responsabilisation qui opère comme par magie à 18 ans. C’est l’intégration sociale des jeunes générations – accès à l’emploi, fondation d’une famille… – qui est le principal facteur de leur intérêt pour la vie politique. En prenant de la bouteille, on agit moins en électron libre et davantage en citoyen impliqué. Dans ces conditions, comment comprendre la position des défenseurs du droit de vote à 16 ans ? Possèdent-ils les bonnes informations ? En vérité, leur idée est astucieuse. Il s’agirait de développer le sens civique dans un cadre familial, de prendre de bonnes habitudes dont on ne se départ pas une fois entré à l’âge adulte sur le mode : « Prends ta douche, brosse-toi les dents et n’oublie pas de te rendre au bureau de vote ».
C’est pile ici que les choses commencent à se compliquer parce que l’adolescence n’est pas la période de la vie la plus propice pour inculquer des pratiques à ses enfants. S’ils ne se brossent pas déjà les dents à 16 ans, c’est quasi mission impossible ensuite. Les jeunes ont tendance à faire le contraire de ce que leurs parents attendent d’eux. Alors, quand leurs géniteurs sont de moins en moins convaincus eux-mêmes de l’utilité de la démarche, comment espérer qu’ils parviennent à transmettre à leur enfants l’importance du devoir électoral ? L’échec est garanti. En fait, on pourrait plutôt imaginer que les jeunes décident de mettre un bulletin dans l’urne par simple esprit de contradiction : « Ah, vous êtes démobilisés ? Eh bien, nous nous engageons dans la vie politique, nous ! ». Le raisonnement est un peu tordu et il est difficile de justifier l’abaissement de la majorité électorale sur la base de ce « nananère », d’autant que son efficacité exigerait des parents de moins en moins concernés par la politique. Pas top !
A ce stade, rien n’interdit d’améliorer la proposition du groupe « Ecologie Démocratie Solidarité » en abaissant encore plus la majorité électorale. Greta Thunberg s’est souciée du sort de la planère bien avant ses 16 ans et, même sans elle, il serait judicieux de choisir un âge qui évite l’écueil de l’adolescence. L’âge de 14 ans est un peu limite. C’est la préadolescence et les plus précoces ont déjà entamé leur révolte. Quitte à bouger les lignes, autant se créer une marge de manœuvre appréciable. En choisissant un âge compris entre 8 et 10 ans, on n’ose proposer 4 ans, l’horizon s’éclaire d’un coup pour les parents qui reprennent enfin la main. Ils peuvent accompagner leur progéniture jusqu’au bureau de vote, en tirant au besoin les plus récalcitrants par l’oreille – ce qui permet même de joindre l’utile à l’agréable. Une analogie avec les débuts du suffrage universel (masculin) s’impose : les notables guidaient les paysans jusqu’au bureau de vote pour s’assurer qu’ils optent pour le bon candidat – l’invention de l’isoloir n’étant qu’une réaction à cela. Pour finir, rêvons d’un monde avec une majorité à 10 ans et des politiciens adaptant leur discours au nouvel électorat : selon une étude canadienne, les jeunes ont des antennes qui leur permettent de détecter les menteurs mieux que leurs parents.
La maxime :
On est jeune
De 7 ans à 777 ans